"all i want for christmas is you", Dama&Brian

Je chantonne, ça m’donne bonne mine. Et puis y’a de quoi : Barney’s est mon royaume ! Je suis presque à genoux devant cette carte doré que papa (même si je ne vis plus chez la demeure familiale des Wilde, j’dois lui manquer) me refile, bof, à perpétuité ? Je passe mes petits doigts sur tant de merveilles signées Donna Karan et Rudolph Valentino, ce qui me bouscule ipso facto dans l’idée que ma tenue du buffet annuel de Noël est troooop moche ? (« Damaris, aller, on flaire qu’les 6 zéros »). 22 ans, sans emploi, étudiante en médecine, habite dans un pouilleux d’Internat et pourtant, je roule sur l’or. Je tourne la carte entre mon majeur et index et j’étouffe un ricanement (« je l’étouffe parce que ricaner comme sa, sans rien, ça fait très louche »). Je me demande encore comment je fais pour mener du bout du nez un homme qui possède 12 ans d’étude en médecine et 3 en spécialisation.

- Ma-de-moi-selle ? dis-je lentement, pesant sur chaque syllabe afin qu’une d’elles se bouge un peu les miches.

Elle accourt vers moi, déboussolée et timide, comme si je faisais la une des presses people ou un truc du genre. Je ne suis quand même pas PH (Paris Hilton) ou LL (Lindsay Lohan), pas de soucis que je te nique un jean rien que pour souillonner mon image et qu’ainsi on oublie ma dernière frasque (qui plus est, était deux fois pire). Cela dit, je suis hésitante entre une robe Jean Paul Gauthier à volant ou une très rétro de Christian Lacroix (« celle-là faut la porter avec des collants, par contre » me dis-je, pesant pour et contre). Peut-être ne l’auriez-vous pas remarqué, je suis dingue des designers français. D’ailleurs tellement que je n’ai pas pu m’empêcher de participer à là… (je me mords la lèvre à l’idée) french vague : « car la Cigarette après l’Amour, c’est le pied ».

Je lui fais un clin d’œil. Pour un meilleur service, règle numéro un : fraterniser avec la chose en question (« Je n’ai quand même pas l’intention de me retrouver sur la liste d’attente, ce serait gonflant »). Elle est blonde et dupe, et me fait à son tour un clin d’œil en se gondolant. Elle file en arrière-boutique tandis que moi, je retourne vaguer à mes occupations sois : me mirer en me demandant laquelle choisir. Je lève les yeux en l’air.

- Non mais ce qu’est-ce qu’elle est bête …, sifflai-je entre mes dents.

5 minutes plus tard.
Puis 6. Ma Rolex en or (piqué à un ancien petit ami) m’indique 17h00 moins quart (« merde je vais être en retard »). Non mais, elle se tape de la coke là dedans ou quoi ? « HUM, HUM ». Je tousse assez fort pour qu’elle m’entende. Ma patiente à ses limites, que mes limites n’ont pas. 2 minutes gros max, si c’est un vêtement très en demande, mais là. Pile 7 minutes. J’appelle mon père pour qu’il fasse démolir ce bâtiment en un tournemain.

J’ai envie de lancer : « Alors, c’est pour ton nouveau régime, c’est sa ? » mais je me retiens. Ma bouche se forme en un drôle de rictus qui tire sur le « t’est une plaie, toi, tu va me faire manquer mon rendez-vous au Derbydun » mais je refais le coup du clin d’œil, Ô cher cirage de pompe. Elle me la tend (« sublimissime » pensai-je) mais je lui fais signe de la garder et de l’emmener vite fait à la caisse. Barney’s est mon royaume, certes, alors esclave, servez-moi.

- C’est bon j’la prends, dis-je en faisant un « woush-woush » de la main.

Intuition féminine peut être, mais elle traîne des pieds en fixant le plancher jusqu’à la caisse. Sois elle a sentie que je jouais la copine zéro, sois elle est choqué que je n’ai pas pris le temps de remarquer l’étiquette de 6 zéros. Je rétorque pour l’option deux : on doit s’y attende en bossant ici. Du moins, ce que je suis sur le point d’acquérir ne sont tout de même pas des pantoufles pour chiwawas.
Je prends le sac, je mets mes lunettes soleil et je file. Mais avant, je pique.

Maintenant, il ne me reste plus qu’à prier qu’elle se fasse virer par mauvaise qualité de travail et que la prochaine fois, je ne me vois pas forcer de traîner mon popotin pour New York afin de ne pas voir afficher mon nom sur cette liste d’attente. Et je quitte. J’erre à travers les rues d’Odano, j’hume Odano et il fait si froid (très rare en Floride, en ce temps saisonnier) que ma bouche forme d’énormes nuages. Mon Blackberry vibre dans ma poche de trench, et j’ai à peine le temps de rajuster mon béret à mailles pop-corn violet qu’une voix aiguë s’esclame dans l’interphone. Une raison de plus de pourquoi je favorise le SMS.

Je raccroche. Je souffle (« ah non, mais qu’elle pipelette, celle-là »). J’ai le temps de voir apparaître un : « Vous avez 1 nouveau message » avec le 518-0987 sur ma page d’accueil, mais en moins de deux l’efface immédiatement. « Vous avez 0 nouveau message ». Merci bien. S’il croit qu’il va récupérez sa Rolex celui-là, il rêve en couleur ! Je traverse la rue en regardant de chaque côté (« gauche, droite, voilà »), m’accote sur un mur en béton proche d’une intersection et me grille une Luckystrike mentholée (une merde que m’a vendue l’autre jour un barman plus ivre que toute la bande à son comptoir). Ça goûte aussi mauvais qu’un vin périmé.

- Même que, je préfère un vin périmé, dis-je à voix haute, mine de dégoût.

Je la lance sur le trottoir et l’écrase du bout de mon talon alors qu’elle n’est à peine consumée. Impression de déjà vue, hein ? «I don't want a lot for Christmas, there's just one thing I need, I don't care about the presents, Underneath the Christmas tree. I just want you for my own, more than you could ever know … » Un mince sourire et je chantonne tout bas à mon tour. La musique provient d’une vieille bagnole des années 70’s, ou presque. Personne n'est insensible au charme du temps des fêtes.

« Wrrrrrriiiiinnnn. » Un énorme bruit de frein, je sens mon cœur arraché.

Elle provient de la même caisse que le fan de Mariah Carey. Non, mais attendez … c’est pas Brian ? Nooooon. Si ? Franchement …, quoique. Je cours vers le détenteur du frein barge. C’est bien lui. Je le reconnais, car on étudie tous les deux en fac de médecine. Je cogne deux fois dans la fenêtre de sa vieille bagnole qui semble ne pas seulement avoir des problèmes de freins (à en croire l’odeur d’essence qui en dégage) et lui accorde un sourire digne de Don Juan(ne). Il baisse la fenêtre à main;

- Hey, tu me trimballes jusqu’au Derbydun ? Et j’t’offre une clope, dis-je en lui tendant le paquet de cigarette. (« règle numéro deux : quand on s’débarrasse, on le fait avec dignité et subtilité. Autant mieux marcher par intérêt que rien n’avoir en retour.»)

Mon nez est congelé et j’ai à peine la capacité de bouger les orteils, mais je garde cet air chaud et à l'aise. La vue que je lui exhibe sur mon 32C ? Rien à voir. Mais une sorcière sait comment ce faire désirer.