#020 - Olly Hedlund, RUPERT

Il était précisément 22h00 dans les rues d’Odano en Floride. Il y avait une toute nouvelle animation dans les rues de la ville, maintenant que le couvre-feu était passé. De la musique retentissait près d’un bar et des gens en sortait et en entrait en parlant fort, brisant l’esprit calme que l’été déposait sur les passants. Un jeune homme au teint et aux cheveux foncés sortait justement par la porte du bar/café où des jeunes travaillaient, un portable sur leur table. Il remonta sa fermeture éclair et eut un frisson, bien qu’il faisait relativement chaud. Il leva la tête et bouscula une jeune fille aux cheveux noirs qui entrait dans le bar, son uniforme de barmaid à la main. Il ne s’excusa pas et l’insulta avant de continuer son chemin. Il n’en avait tout simplement rien à foutre des gens qui ne regardaient pas où ils allaient. Il n’avait pas le temps de s’étendre en excuses devant cette minable qu’il ne connaissait pas. À vrai dire, il n’était pas pressé. Il avait à se rendre aux alentours de l’Université d’Odano, endroit qu’il ne fréquentait absolument pas, à l’exception de ses sorties nocturnes où il rejoignait Alexander, un « ami ».

Il se déplaçait sans bruit dans les rues sales par endroits, regardant parfois autour de lui, le collet de la veste remontée et sifflotant un air troublant. Il avait pris un dit raccourci et il n’y avait plus personne dans les environs. Il repensait à son père qui était sûrement présentement en prison. Il avait habité un long moment avec lui, c’était cet homme qui l’avait élevé après le divorce de ses parents. Stanislas, son père, avait eu la garde de Rupert même si sa mère, Janie, était beaucoup plus responsable que cet homme mal léché du Bronx, à New York. Rupert avait dût venir rejoindre sa mère à Odano en Floride après que son père ait été arrêté pour vol de voiture et est été emprisonné. C’était son travail en quelque sorte, voler des voitures et les revendre à une entreprise qui les revendait elle-même à des petites gens normaux et heureux qui se cherchaient une nouvelle voiture. Le jeune homme, Rupert, avait pris l'arrogance qu'il affichait de son père. Il n’avait aucun respect pour les gens, tout comme son père. Il avait un air de garçon gentil et bien éduqué, avec son look classe et ses yeux bruns et « profonds », mais il était des plus orgueilleux, voulait toujours avoir raison et ne pensait pas aux autres. Il décevait beaucoup de personnes, qu’il rencontrait au départ par sa grande sociabilité, surtout des demoiselles. Elles le trouvaient au départ très séduisant et bad boy, et ensuite elle découvrait (sans grandes surprises) qu’il ne montrait aucuns de ses sentiments et qu’il ne communiquait pas du tout.

Il arriva rapidement au « Landscapes » et il dût attendre quelque temps Alexander, continuant à siffler. Il était bien en retard le jeune homme, s’était-il absenté ailleurs ? Allait-il se présenter ? Rupert sortit une cigarette et l’alluma, il la posa contre ses lèvres et se demanda tout d’un coup pourquoi il avait une cigarette entre les doigts. Il s’évada un instant, sa gueule d’ange affichant un sourire béat. Une lumière l’avait gobé et il se retrouva dans un endroit blanc. Des multitudes de mots se déplaçaient tout autour, l’enroulaient et repartaient. Certains le caressaient et entraient en ses vêtements, en lui. Il était figé et ne réagissait pas à tout ce qui se passait, tout ce qui était si bizarre. Il ouvrit bientôt les yeux et se retrouva à l’extérieur de l’Université d’Odano, accoudé à un muret de pierre, une cigarette contre les lèvres. Mais que faisait-il avec une cigarette entre ses doigts ? Quelle odeur répugnante. Il la jeta dans l’herbe et la piétina pour ne pas qu’elle enflamme le parterre.

Il regarda l’Université qui lui faisait face, dominante. Il eut un sourire, se disant qu’il avait bien hâte le lendemain d’aller étudier les lettres. Il devait finir ce bouquin d’Albert Camus. C’était pour la semaine prochaine et il n’avait pas fini son étude. Il l’avait déjà lu bien des fois, mais il voulait donner de son meilleur. L’idée lui passa d’aller chercher ses documents et d’aller écrire au Derbydun. Il regarda sa montre, et se rendit compte qu’elle indiquait 22h17. Les aiguilles ne bougeaient pas. Il la tapota, mais elle ne se résigna pas à continuer sa marche du temps. Il l’enleva donc, et la jeta dans une poubelle à ses côtés. Il se mit en marche, dans les mêmes rues qu’il avait arpentées, sans se rappeler qu’il était venu aux « Landscapes » pour y rencontrer Alexander. Mais qui était cet Alexander ? Il arriva bientôt chez lui, sifflotant un air joyeux et buzza chez lui pour que sa mère débarre la porte. Sa voix sortit de l’émetteur :

« Qui est là ?
- C’est moi, maman, Rupert
- C’est bon, entre. »

Elle avait une voix endormie, peut-être l’avait-il réveillée. Elle avait tellement de travail avec toutes ces expériences scientifiques, elle avait bien raison de dormir aussi tôt. Il prit l’ascenseur et arriva directement dans le living room de son appartement en sortant de la machine de fer. Sa mère était en robe de chambre verte hôpital, assise sur un canapé, lisant un livre. Il y jeta un coup d’œil rapide, et par la couverture y reconnut un Jules Verne. Quelle lecture passionnante et ennuyante. Il ne lui fit pourtant pas le commentaire.

« Je vais travailler. » dit-il avant de monter les escaliers de se diriger vers sa chambre. Là il y déposa le sac qu’il avait eu sur le dos depuis sa sortie du Derbydun et le vida. Il y trouva un uniforme de technicien au cinéma nommé précédemment. Mais qu’est-ce que ça faisait là ? Sûrement quelqu’un qui s’était trompé et l’avait mis dans son sac pendant qu’il allait aux toilettes. Il ne prit pas le temps de regarder le nom sur l’étiquette (qui était le sien) et jeta le morceau de tissu au fond de son garde-robe. Il s’installa ensuite à son minuscule bureau et ouvrit son livre, son imaginaire s’ouvrant du même coup. Il jeta un regard par la fenêtre qui donnait sur Blake Avenue et plongea une fois pour toutes dans le conte qui était devant lui. Il avait délaissé ses travaux d’Université pour un conte pour enfants, il en avait tellement envie.

Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ? Non, pas encore, bien entendu.
Qui sait quand l’histoire finira.


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